1926

.Visite à un réalisateur français pionnier du cinéma.

Alfred Machin

1926 : Après avoir été reporter photographe pendant la guerre 14-18 pour la maison Pathé Alfred Machin ouvre le "Les Studio-Machin" à Nice.

- C'est à quelques kilomètres de Nice, à vingt minutes d'auto, sur la route pittoresque de Turin, qu'est érigé le studio d'Alfred Machin.

Le nom de cet habile metteur en scène est trop connu de nos lecteurs pour refaire ici son éloge. Nul n'a oublié, en effet, ce film déconcertant, cette spirituelle parodie des sérials américains aux péripéties tragico-invraisemblables qu'Alfred Machin réalisa, il y a trois ans sous le titre de "Bêtes...comme les Hommes"! Pour tourner ce grand film en deux parties l'adroit animateur accomplit victorieusement cet incroyable tour de force, de ne prendre comme acteurs que des animaux. Il y en eut de tout poil et de toutes plumes. Ce fut un succès d'ahurissement qui se changea aussitôt en un succès tout court.

Encouragé par le succès de ce premier film animalier, Alfred Machin voulu conserver sa spécialité; il dressa un superbe chimpanzé, aussi photogénique qu'intelligent et il en fit une vedette de première valeur. Auguste, tel était le nom de cet adroit animal, tourna sous la direction de son maître et à côté d'artistes réputés de l'écran, plusieurs films qui lui valurent sa popularité. Ce furent : L'Enigme du Mont Agel , Les Héritiers de l'oncle James , Les Cœurs des Gueux avec l'éminent doyen de la Comédie-Française, M. Maurice de Féraudy, et en dernier lieu, Le Manoir de la Peur.

C'est donc avec une curiosité mêlée d'intérêt que je me présentai au studio d'Alfred Machin.

En y parvenant, le souvenir de toute une épopée quasi-héroïque surgit à ma mémoire. Je le connaissais ce studio ! Il avait joué un rôle capital dans les premiers âges du septième art. C'est sous sa toiture de verre qu'avait été tourné les premiers films du monde. Puis après ces premiers pas titubants, une centaine de bandes comiques signées Pathé, avaient vu le jour dans ce même établissement, sous les directives de Zecca, de Rollini et, enfin, d'un certain Pacchioti plus connu sous son seul prénom de Roméo. Ces petits films que tournèrent des acteurs comiques français et italiens, eurent leur heure de succès ; je ne me trompais pas : c'était bien le studio "Pathé-Nice".

- Et oui !me répond l'aimable Alfred Machin c'est bien l'ancien théâtre Pathé. La guerre bouleversa la combinaison Pathé-Roméo et, peu après la paix, j'achetai le studio de mes propres deniers. J'y suis donc entièrement chez moi. J'y ai tourné quelques films de la série "Serpentin" avec Levesque, Alias Coquentin, avant de me spécialiser dans les films d'animaux. J'ai retapé, modernisé, agencé scientifiquement ces vieux bâtiments. Je vous ferai visiter tout à l'heure les laboratoires ultra modernes que l'on achève actuellement d'y installer.

"Comme tous les metteurs en scène, j'ai dû faire appel à des collaborateurs financiers. Je me flatte de les avoir toujours satisfaits."

Il est vrai qu'on a banni ici tous les procédés affligeants et toujours ruineux de ce que nous appellerons, si vous le voulez bien, la pratique commerciale de la mise en scène...Nous travaillons ici en famille, véritable association sympathique entre commanditaires, auteurs, acteurs et directeurs. C'est ma femme qui, sous le nom de Germaine Lécuyer, fut longtemps l'une des pensionnaires estimées du théâtre Antoine, qui me seconde le plus directement dans mon dur labeur. Elle a renoncé à la scène pour le studio et elle apporte la même ardeur, le même amour de l'art, qu'on se plaisait à reconnaître en elle sur les planches. Nos trois enfants nous aident aussi. Ce sont d'excellents artistes. Le plus jeune, Claude, est connu à l'écran sous le sobriquet de Clo-Clo.

Auguste et Claude Loges des humains
Auguste et son partenaire de films :
Clo-Clo, le petit Claude Martin
Les loges des artistes humains

"Dans mon studio, rien ne se perd, rien de secret, rien d'imprévu ni d'équivoque. Artistes de cinéma, nous en sommes aussi les artisans. A part la pellicule, nous faisons tout par nous-mêmes. Je vais vous montrer dans un instant nos ateliers de mécanique de menuiserie, de décoration, de travaux chimiques et même de construction d'éclairage, car, à part les lampes Bardon, nous fabriquons nous-mêmes nos appareils électriques. J'achève actuellement la mise au point d'un petit projecteur, léger et ultra-lumineux, qui m'a rendu d'énormes services pour éclairer des physionomies d'artistes ou des ponts particuliers de décors,

"Nous avons notre atelier de titrage. Nous utilisons un ingénieux procédé d'impression sur verre, qui nous donne d'excellents résultats et qui bat tous les records comme rapidité et économie. "En un mot, le studio Machin est une véritable petite usine de cinéma !"

"Nous sommes, du reste, sur le point de nous agrandir, toujours sur les mêmes données de self-fabrication. Au pied de ces rochers escarpés que vous apercevez et qui forment le "fond" de notre installation, rochers dans lesquels j'ai pris déjà et prendrai encore maintes vues pittoresques ou sauvages (vues que l'on va, d'habitude, chercher bien loin du théâtre), je vais faire élever un second studio. Tout le terrain qui va d'ici à la montagne m'appartient. Il m'est donc loisible de faire telle construction que je juge nécessaire.

Ce second studio que je compte agencer avec les tout derniers perfectionnements scientifiques, servira à ceux de mes collègues qui préféreront venir à Nice tourner à la fois leur intérieurs avec autant de facilités qu'à Paris et les extérieurs dans un pays de soleil ininterrompu. Pouvoir tourner tous les jours, même en hiver, songer quelle énorme économie peuvent réaliser les metteurs en scène!

Cette location de mes studios est d'ailleurs à l'heure actuelle, une très importante source de revenus. Je ne réalise en moyenne que deux films par an, ce qui me suffit amplement. Entre temps je loue - et à de très raisonnables conditions, je vous prie de le croire, car je ne suis pas un mercanti !- mon théâtre, mon personnel et mon matériel sans cesse accru, à ceux de mes collègues qui cherchent à travailler en paix, loin des contingences et des temps incertains.

- C'est très intéressant. Vous avez résolu, en quelque sorte, le problème du cinéma économique...

- Non, se hâte de répliquer Alfred Machin. Je ne fais pas de cinéma économique. Au contraire ! N'ayant pas de frais de location de studio, je consacre tous mes fonds à la seule réalisation artistique de mes films, c'est tout différent !

- En tout cas, centralisant toutes les parties différentes de votre industrie et vous suffisant ainsi à vous-même, vous évitez les intermédiaires, donc le gaspillage et les fuites...financières.

- Si vous voulez, répond en souriant Alfred Machin. En tout cas, avant quelques mois, mon installation sera - j'ose l'affirmer- l'une des plus pratique de France. On monte en ce moment, dans un nouveau corps de bâtiment de mon studio, une "centrale électrique" dernier cri, qui fournira 8000 ampères. C'est assez coquet, vous le concevez, pour l'éclairage des prises de vues !

Un décor Une prise de vues
Construction d'un décor
pour prise de vues
dans le studio Machin
Une prise de vue :
Remarquez les curieux
appareils d'éclairage
qui pendent du plafond,
les appareils Bardon.

- Revenons à vos premiers succès. Avez-vous été heureux de la carrière de "Bêtes comme les Hommes" ?

- Oui...et non ! Elle a été très acceptable. Elle eût dû être plus belle. J'ai perdu quelques ventes intéressantes en pays étranger, notamment en Angleterre, et ce, bien malgré moi. L'indiscrétion un peu irréfléchie d'un journal m'a fermé les portes de Londres, portes qui, vu l'altitude de la livre sterling, s'ouvraient pour moi sur un réel pont d'or.

- Contez-moi celà.

- Bien volontiers, avec une légère amertume, vous le comprendrez, mais sans aucune acrimonie. L'incident est né d'une explication fantaisiste et d'ailleurs complètement fausse, donnée au sujet du Bal des Coqs et des Poules. Un chroniqueur en mal de copie affirma avec une belle crânerie que j'étais parvenu à faire "danser" mes gallinacés en les plaçant sur un plateau de tôles fortement chauffé par en dessous. Cette assertion me valut la réprobation des Anglais, très sévères, vous le savez, sur la question du traitement infligé aux animaux.

J'étais en affaires avec un grand éditeur londonien pour lui vendre un négatif. Le surlendemain de la parution de l'article de votre confrère, l'éditeur dénonçait ses propositions en me déclarant franchement la raison de son attitude. Je me révoltai et songeai à intenter un procès au dit journal. Mais le directeur de la publication vint me supplier de n'en rien faire, me prouvant que sa bonne foi avait été surprise par son collaborateur. Je me laissai fléchir.

"D'ailleurs, j'ai tenu à me laver de cette sotte accusation de bourreau malgré moi. Au cours du film que je tournais après Bêtes comme les Hommes je refilmais la sauterie des volatiles en question, non plus dans mon studio, mais sur le gravier de mon jardin, et ce, en présence de plusieurs journalistes anglais. Ils se convainquirent alors que nul chauffage n'était imposé aux pattes de mes gallinacés, et justice me fut rendue dans les feuilles anglaises...malheureusement trop tard pour ma bourse ! Enfin, on vient de me louer plusieurs copies qui vont être projetées à Londres cet hiver. C'est toujours un dédommagement.

- Je vous avoue que cette version de la tôle chauffée parut vraisemblable à tout le monde. Moi-même...

Alfred Machin fronce le sourcil.

- Puérilité ! gronde-t-il. Comment pouvez-vous supposer que ces coqs et ces poules auraient sautillé pendant près de cent mètres de film sans chercher à s'envoler ? Placez donc une poule, même garrottée aux ailes, sur le dessus de votre cuisinière... Vous verrez si elle se mettra à danser de joie et si elle se prêtera longtemps à ce supplice lâche ! Non ! Mon procédé était beaucoup plus humain et beaucoup plus facile à réaliser. Permettez-moi de le garder jalousement dans mes archives. Vous allez vous convaincre de la sympathie que me témoignent les survivants de cette interprétation (beaucoup sont morts depuis quatre ans hélas !) et vous verrez si Alfred Machin qui adore les animaux, était capable de les torturer, même passagèrement !"

L'habile animateur se lève, en souriant à présent, et me fait signe de le suivre.

Nous voici dehors dans un jardin coquet, nanti d'un vaste bassin qui est devenu une spacieuse volière entièrement fermée par un treillage d'acier.

Dans cette large volière s'ébattent encore quelques survivants du film "Bêtes comme les Hommes". Voici l'aiglon qui -chose curieuse- voisine avec des poules, des cobayes, un hibou, deux marabouts qu'on peut caresser à son aise. Voici -autre invraisemblance dont j'ai tenu à prendre une photographie ! - un jeune renard couché dans la caisse d'une poule entrain de couver ses œufs ! Voici un loquace perroquet qui jacasse à côté de l'aiglon et du hibou. Voici des couleuvres inoffensives : voici des lapins ! Toute cette famille se frôle, se fréquente et semble ignorer les haines et les partis !

- Voici les "bêtes" que j'ai fait tourner comme des Hommes ! médit en souriant Alfred Machin. Vous voyez que l'accord règne ici, total et parfait !

Poule et Renard Loges des animaux
Une mère poule entrain
de couver accepte la présence
auprès d'elle d'un jeune...renard !
Les loges des artistes...
de poil et de plumes.

- Vous m'en voyez ahuri d'ailleurs.

- Pourquoi donc ? Avez-vous jamais douté de l'instinct des bêtes, de leur intelligence ? On peut tout attendre des animaux. Le tout est de les dresser à temps et de les aimer, et de leur apprendre à s'aimer entre elles...

Et se dirigeant vers un corps de bâtiment soigneusement clos, Alfred Machin me dit :

J'aurais voulu vous faire revoir Auguste, l'un des plus spirituels descendants de nos ancêtres, mais hélas !mon vieux serviteur a rendu depuis quelques mois son âme au dieu des singes...et des hommes...nous l'avons tous pleuré, ici... mes enfants les premiers. Je vous donnerai tout à l'heure quelques photographies de mon pauvre ami... Vous l'aimiez, je sais et connaissiez les qualités extraordinaires de ce singe. Sa perte est plus qu'irréparable... Je ne sais pas si je retrouverai jamais un animal capable de le remplacer et surtout si j'aurai le cœur de le dresser comme j'ai dressé Auguste.

Alfred Machin ouvre une porte. Nous voici dans une vaste cage où une jeune guenon et un mandill aux babouines bleues s'ébattent. Au fond une autre cage immense :

- C'était l'appartement d'Auguste me dit Alfred Machin dont l'œil se voile <<ne visitons pas ici...cela me fend le cœur >> ,

- Auguste fut le plus souple de tous les acteurs de cinéma, m'explique Alfred Machin, quand nous quittons la cage des ancêtres. On lui faisait accomplir ce qu'on voulait. Il répétait deux fois seulement une scène et la tournait. Jamais je ne recommençais une prise de vues à cause de lui, car il savait qu'il tournait et il s'appliquait consciencieusement à sa tâche. Il a tourné, je vous l'ai dit , avec de grandes vedettes Monsieur De Feraudy a été pendant toute la prise de vues de "Cœurs de Gueux", le grand ami d'Auguste.

Maurice de Féraudy inoubliable créateur de "Les Affaires sont les Affaires" en compagnie d'Auguste: L'expression de profonde douleur du grand comédien n'est-telle pas reproduite sur la face du chimpanzé avec une étonnante exacttitude ?
On connait d'ailleurs le don d'imitation des singes.

"Ajoutez que mon chimpanzé s'offrait tous les jours avec moi une heure de bicyclette sur sa petite bécane et que rien de ce qui est humain ne lui était étranger. Il comprenait tout ce qu'on lui disait et il obéissait docilement à la voix. C'était un homme sincèrement. Depuis cinq ans qu'il m'appartenait, il était devenu mon quatrième enfant...et il le savait, le gredin !

"Il adorait le cinéma. Quand il ne tournait pas, pour ne pas l'en déshabituer, je le conduisais fréquemment en matinée dans un grand cinéma de Nice. Il s'habillait lui-même de chauds vêtements, et mettait vigoureusement en marche le moteur de notre automobile.

Un après-midi, il a mis toute une salle en joie. On passait un film dramatique, un film d'amour...

"Debout sur une chaise, dans une loge, les mains sur le rebord de la loge, Auguste suivait l'action du film avec intérêt. Soudain, il vit le jeune premier et la jeune première s'embrasser. Ce geste l'enthousiasma. Il se mit à pousser, en guise de rires, de ses cris rauques qui étaient sa façon de parler... Ce fut un beau scandale pour les spectateurs ! Le film dramatique se mua, par sa faute, en film comique, car chaque fois que deux acteurs se rapprochaient, Auguste s'imaginait qu'il allait de nouveau les voir s'embrasser, et il s'esclaffait aussitôt à sa bruyante manière !

Je ne pus m'empêcher de déplorer avec Alfred Machin la perte de son pauvre pensionnaire, et puis je quittai le studio, non sans promettre à son propriétaire, de revenir dans quelques mois examiner sa prochaine installation.

Peut-être alors Auguste, l'inoubliable singe, aura-t-il un remplaçant ? Alfred Machin le doit à sa réputation !

Mr et Mme Machin Auguste lave Clo-Clo
Mr et Mme Machin et...
quelques amis intimes.
Auguste douchant
chaque matin son ami Clo-Clo

Fin


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